mercredi 13 juillet 2011

Lalcko - Interview

On le sait, il n’existe pas en musique de formule magique pour réaliser un grand album, un classique. En revanche il existe certains schémas qui conduisent souvent à l’échec cuisant : galères de maisons de disques, dissensions internes, projets annulés, album repoussé maintes et mainte fois… Si « L’eau lave mais l’argent rend propre » a bel et bien connu toutes ces embrouilles, Lalcko en a pourtant fait une franche réussite, ce qui constitue un sacré tour de force. Plus de huit ans auront été nécessaires mais peu importe, il a réussi à faire l’album qu’il voulait et celui que son public attendait.
Histoire de revenir un peu sur sa carrière, son disque et sur son style unique ; l’artiste a accepté de se plier au jeu des questions-réponses à quelques jours de la sortie de l’album.






Ton album va enfin finir par sortir, pourquoi avoir mis autant de temps ?

J'ai mis le temps qu'il fallait, je peux comprendre que l'attente ait été longue mais je suis le pur produit de mon environnement. Je témoigne de comment il peut être compliqué pour un indépendant d'émerger dans ce système où les artistes sont développés comme des marques de lait. Et en même temps, j'ai fait un chemin assez classique: des maxis aux bootlegs, puis des mixtapes aux street albums, pour enfin finir par l'album !

Dans quelle condition sort le disque justement ? J’ai vu le nom de César Charp, totale indépendance ?

Le disque sort dans de très bonnes conditions, dans une indépendance voulue et assumée. Cette formule me va comme un gant. A travers cette sortie, je compte envoyer un message fort à l'industrie, me développer en marge tout en montrant un chemin aux plus jeunes. Les moyens je les ai, même si cela aura été long et rude. « L'eau lave mais l’argent rend propre » est un album certes, mais aussi un message, une façon de faire. A chacun sa définition de la richesse et ses moyens pour aller la trouver, l'adversité n'est qu'un détail dans le cheminement de tous.
César Charp c'est notre label. César pour la brutalité et le Charp de charpentier.
Une espèce de Ying et de Yang musical qui caractérise souvent ma musique. J'espère qu'un bel avenir nous attend...

« Diamants de conflit » n’était qu’un street album selon toi, là on a enfin droit à l’album « concept ». Ca va changer quoi concrètement ?

Le street album était conceptuel et bien que très abouti, il ne représentait qu'un axe de ma vision. L'album rentre plus dans mon personnage, je me dévoile plus en tant que rappeur. Il est un peu la somme de « Diamants de conflit », « Diamant noir » et de mes maxis. Le contenu est frais pour ceux qui, en plus de l'écouter, sauront le lire. Cet album est une pièce, je prends position, j'apporte ma vision... J'espère à la fois vous divertir sans vous égarer.

Je dois t’avouer que certains de tes derniers morceaux m’ont déçu, « King Kong Gun » ou « Powerful » notamment. Quand j’ai entendu « L’argent du Vatican » je me suis dit « là on retrouve Lalcko à son meilleur ». Tu as conscience que tout le monde ne voudrait que ce genre de morceaux, comme « Les voix suprêmes » ou « L’esprit des rois » ?

Je te comprends mais on oublie aussi souvent que les rappeurs aiment aussi rapper tout simplement…
« King Kong Gun » et « Powerful » sont vraiment des purs bangers. J’aime ça aussi, la culture des gros sons faits pour tourner dans la voiture.

En voyant la liste des producteurs, j’ai été surpris de voir apparaître Fred Le Magicien seulement sur 4 titres, alors que votre association a toujours fonctionné…

Oui Fred est un proche, un ami et notre relation dépasse le cadre de la musique. Après 4 titres c'est énorme déjà ! Surtout si chacun en vaut 7 dans les autres albums...
On en a fait plusieurs, mais nous n'avons retenu que les meilleurs, c'est notre façon de faire. Au passage, les autres concepteurs ont aussi du mérite. Ils vont vous le prouver dans cet album même si j'avoue qu'avec Fred c'est spécial.

Justement 10 producteurs sont présents sur l’album et malgré cela une véritable homogénéité se dégage du projet avec des atmosphères lourdes, épiques… Tu as sélectionné les beats que l’on te proposait ou tu as demandé à chacun de te donner tel beat, telle couleur ?

En fait la plupart du temps on demandait aux concepteurs de nous envoyer simplement des sons. Mais pour cet album on avait déjà une ligne directrice préétablie, ce qui fait qu’on a choisi les beats en fonction de l’idée que l’on se faisait du disque et des différents titres. Après il y a aussi des pièces qui ont été commandées. Pour « Powerful » par exemple on voulait faire un banger. Le morceau avait été pensé avant même qu’il ne soit composé et dès le moment où 70cl nous a livré le beat qui convenait on a enregistré. L’homogénéité vient donc du fait que l’on avait vraiment une direction, une idée précise de ce que l’on voulait faire.

La majorité des producteurs est assez peu connue du public. C’est un hasard ou bien c’est une volonté de ta part de revenir à une certaine conception du rap où un Mc se devait de faire connaître de nouveaux talents ?

Cet album est comme un nouveau départ, entièrement produit sur notre propre label et je pense qu’il est important à chaque fois de venir avec du son neuf. Donc oui il y avait une réelle volonté d’aller vers les gens pour trouver de nouveaux producteurs, mais à coté de ça on s’est aussi entouré de gens qui sont des piliers dans la musique depuis un moment. Il y a Fred Le Magicien évidemment, mais aussi des concepteurs très talentueux comme C.H.I. ou Proof le producteur de Din Records qui a déjà fait de gros albums.





Revenons un peu en arrière maintenant. Je t’ai connu à l’époque de « Blow » (2002), te suivant depuis cette période on ressent un certain gaspillage dans ta carrière. « Les diamants sont éternels », « L’argent du Vatican » et « Monde libre » sont autant d’albums mort-nés. Au final tu as accouché d’autant de projets que tu en as avorté…

Oui comme tous les artistes ou du moins la majeure partie je pense… Après je peux juste dire que par rapport à ce gâchis comme tu dis, Nas nous a donné de bonnes pistes avec « The lost tapes » (compilation de morceaux n’ayant pas été gardés pour ses albums).

Ce qui signifie que l’on pourra un jour entendre tous ces inédits qui dorment dans tes tiroirs ? Parce que je t’avais soumis l’idée de les sortir avant l’album en guise de promotion, tu m’avais répondu qu’il en était question puis plus rien…

Bien sûr qu’ils sortiront, je ne compte pas les écouter seul ! D’un autre côté j’ai aussi offert beaucoup de titres en un an avec mes tapes « El commandante ». Au moins une vingtaine je pense, ce qui fait de quoi patienter. Mais stoppez tout maintenant que l’album est là car il a été réalisé avec soin croyez-moi.

J’aimerais revenir un peu sur « Monde libre ». Sa sortie a été annulée parce que selon toi il ne correspondait pas à une certaine réalité. Cela signifie que tu pourrais le sortir plus tard ou bien qu’il est trop daté et que tu ne pourrais plus vraiment le défendre aujourd’hui ?

J’espère que si on écoute entièrement l’album on pourra percevoir l’énergie que j’ai voulu dégager, la photo que j’ai voulu prendre de notre époque. C’est un projet qui se veut très précis dans sa description et qui a un cadre bien défini. La différence avec « Monde libre » c’est que dans ce dernier je me suis beaucoup plus projeté. Les titres étaient dans la veine de « Lumumba » par exemple. « L’eau lave… » correspond à cette époque où les choses changent très vite selon moi, là où « Monde libre » est lui beaucoup plus intemporel. C’est un album de pensée, il n’est pas contextuel. Il pourrait sortir à n’importe quel moment et c’est pourquoi il arrivera peut-être plus tard en tant que projet annexe… En tout cas je ne trouvais vraiment pas judicieux de le sortir et de passer à côté d’un moment comme celui-ci. J’avais à cœur de décrire l’ambiance dans laquelle on vit actuellement : ambitions, krachs, désillusions… Avec « L’eau lave… » j’ai voulu faire un album très contextuel bien que capable de s’inscrire sur la longueur. Parce que je pense qu’aujourd’hui on a vraiment traversé un virage qu’il fallait marquer. Certains le font en peinture, d’autres en films, moi j’en ai fait un album.

Il n’est pas difficile chez certains rappeurs de deviner d’où provient leur inspiration. Ce qui n’est pas du tout le cas chez toi puisque tu peux introduire dans un seul morceau des références bibliques, historiques, géographiques, musicales, footballistiques…

Mes inspirations sont assez diverses mais elles proviennent avant tout du cinéma et de la littérature. Elles sont trop nombreuses pour que je réponde précisément. Disons que je suis un rappeur et que mon cerveau est un sampleur.

Si on jette un rapide coup d’œil à ta discographie on se rend compte que la réussite et la richesse sont omniprésentes chez toi : « Capital », « L’argent du Vatican », « L’eau lave mais l’argent rend propre », « Fresh », « Millionnaire » et j’en passe…
Le public français est particulièrement réfractaire à ce type de discours alors que dans ta bouche ça ne pose aucun problème. Comment expliques-tu cela ?


Peut être parce que bien qu’ayant connu l’argent assez tôt, celui-ci ne me contrôle pas car j’ai reçu une éducation. Il ne me fascine pas. Au contraire c’est la fascination qu’il provoque qui m’amuse, m’attire, m’intrigue ou m’inspire. Je n’adopte donc pas le même angle de vue que certains.
Les assassins se cachent derrière les billets, les lâches et les égarés aussi. Par exemple pour un jeune marginalisé, l’argent peut représenter une forme de liberté ou de vengeance politique alors que pour d’autres c’est un objet de soumission. Moi je m’en sers avant tout pour dresser une analyse de la société, de ses acquis et de ses troubles.

J’ai toujours pensé que tes multiples références aux diamants étaient purement symboliques : résistance, richesse, beauté et lien avec l’Afrique. Or dans « Matty Madonna » tu dis : « revendre des diams, présenter des gens, prendre des commissions. T’imagine même pas le bif qu’on pouvait faire». Explication ?

(rires) Disons que je pense qu’en tant qu’artiste, notre travail est de magnifier les choses. Il n’y a pas de génération spontanée, rien ne naît de rien, donc la plupart du temps quand j’utilise un concept c’est que je l’ai extrait de ma propre vie. Quand j’étais plus jeune et que je vivais en Afrique, on savait que vendre des diamants rapportait de l’argent c’est pourquoi on en recherchait un peu partout pour les revendre. On était jeunes, on se faisait des sous et il y avait toute une fascination autour de cela. Après c’est une histoire bidon comme il en existe beaucoup d’autres mais vu que c’est magnifié par la musique on pourrait penser à de gros trafics, mais non. Pour résumer on va simplement dire que j’ai côtoyé l’univers des diamants ailleurs que dans ma musique ou mon imaginaire.

La politique française et ses figures historiques sont également omniprésentes chez toi. C’est dû à un héritage culturel ou c’est davantage une fascination du jeu politique et de l’esprit « carnassier » qui y règne ?

Les politiciens sont en charge de la vie dans la cité et certains de leurs comportements sont curieux. Pour tout vous dire je préfère m’intéresser à eux plutôt qu’eux ne s’intéressent à moi. Certains sont devenus des Mob Bosses, bien plus que des Gotti ou Mesrine par exemple. Aujourd’hui on a Sarkozy et son gang, Guérini, DSK… Cette fascination est de plus en plus populaire et elle m’intéresse.

A ce sujet, j’ai relevé dans Napoléon : « si t’avais le choix entre les trafics d’en bas et l’opportunisme d’état, mais dis-moi toi, tu choisirais quoi ? ». Est-ce que tu veux dire qu’à pouvoir, responsabilités et possibilités égales, nous tomberions sans doute dans les mêmes travers que les politiciens ?

Je n’irai pas jusqu’à dire ça, parce qu’après tout chacun a sa façon d’évoluer. Ce que je voulais dire c’est que l’on a une certaine facilité à juger les choses, parce que justement on n’est pas des gens de responsabilité. Se retrouver en face des responsabilités et du pouvoir ça peut déstabiliser beaucoup de gens qui étaient pourtant venus avec de bonnes intentions. J’ai moi-même vu des gens débarquer qui avaient de bonnes initiatives changer subitement dès qu’ils ont goûté au pouvoir. C’est comme s’il se passait quelque chose là-haut, dans les hautes sphères… Et donc je pense que tant que l’on n’a pas gouté à ça, on ne peut pas avoir la prétention de dire que l’on ferait mieux. Cette honnêteté là ne m’empêche pas non plus de juger les politiciens dans leurs travers, mais j’essaie en parallèle de garder à l’esprit qu’il est difficile de résister à certaines tentations.





J’aimerais savoir comment tu conçois tes rimes, parce que ton écriture est très imagée. Est-ce que tu te mets à la place de l’auditeur pour savoir comment il va percevoir tes images ?

Non je ne me pose pas ce genre de question. J’ai des images en tête que j’essaie de dessiner avec des phrases ou alors je suis simplement mon ressenti. C’est donc plus instinctif que calculé au final.

Tu parles souvent de combattre des démons ou d’être torturé psychologiquement par des monstres. Tu fais référence à quoi ?

En fait ce sont juste des images car le combat dont je parle, je le mène contre moi-même. Je pense que c’est le cas pour chacun d’entre nous, souvent on s’empêche d’être ou de devenir des hommes meilleurs. Ce sont eux les démons.

Et l’écriture est un moyen de les exorciser pour toi ?

Non pas du tout, je n’écris pas pour économiser des frais de psy (rires). Lorsque j’écris ou rappe c’est uniquement par plaisir. Pour combattre ces démons je préfère pratiquer la prière par exemple.

Dans « Esprits crapuleux » tu dis « payé pour donner des phrases chocs comme Séguéla », je ne suis pas sûr de comprendre cette phrase. C’est de la revendication ou plutôt du dépit de constater que les gens ne retiennent que les phrases chocs de tes textes ?

Je trouve que la culture de la punchline a fait perdre du pouvoir au texte. Cette phrase, c’était pour signifier que je ne suis pas là pour rapper des spots de pub, merci de l’avoir soulignée. Les punchlines c’est bon mais il faut aussi savoir en maîtriser le dosage sinon ça donne du rap « culture pub ». Laissez-nous faire à notre façon bordel…

Pour finir, à peine ton album sorti tu annonces déjà un nouveau projet : le EP « L’argent n’était pas la limite ». J’imagine que ce ne sera pas une compilation de chutes de studio mais bien un disque à part entière, complémentaire à l’album.

Exactement, cet EP arrive comme une sorte de conclusion par rapport à « L’eau lave… ». Là où il est intéressant aussi, c’est qu’une certaine légèreté réapparaît puisque l’on n’est plus dans un contexte de pression comme pour l’album. On peut donc y ressentir une certaine forme de relâchement, mais attention ce n’est pas un relâchement artistique !
En ce qui concerne sa complémentarité, je peux t’en donner un exemple très concret et qui me fait rigoler d’ailleurs. Dans l’album je parle du Président Américain Obama en disant que son père lui a inculqué la culture Marcus Garvey (précurseur du panafricanisme) parce qu’il est vrai qu’à son investiture tout le monde était content, moi y compris. Puis avec les années et de multiples voyages, j’ai pu voir et même vivre en direct certains des désastres de sa politique. C’est pourquoi dans le EP je dis que finalement Obama est un des pires ennemis de l’Afrique. Il y a donc une évolution puisque l’on voit le début et la fin de ma pensée.
Avec un titre d’album un peu bling-bling, certains ont pu être étonnés qu’un mec comme moi vante l’argent mais c’est parce que j’avais déjà prévu de montrer ensuite les limites de ce système. Le EP amène donc cette idée là, peut-être plus dans le titre que les morceaux d’ailleurs, mais ça sera aux gens de se faire leur propre idée.





L’album est toujours disponible sur itunes ou encore amazon. De plus le Ep en édition limitée « L’argent n’était pas la limite » vous est offert en renvoyant une preuve d’achat à l’adresse suivante : lalcko@notsobadpromo.com



Merci à Lalcko tout d’abord pour avoir répondu aux questions et surtout, un grand merci à No’ pour sa disponibilité et sans qui rien de cela n’aurait pu se faire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire