vendredi 7 mai 2010

Interview Taipan (06/04/2010)

Dieu aurait créé le monde en six jours, Taipan aura mis cinq ans pour accoucher de son premier album. Preuve en est qu’il vaut mieux prendre son temps quand on veut bien faire les choses.
Le 8 mai 2010 donc, on ne nous promet rien de moins que la guerre pour l’armistice à l’occasion de la sortie de « Je Vous Aime ».
Histoire de mieux comprendre les ambitions placées dans ce disque, j’ai souhaité tailler le bout de gras avec son auteur. Rendez-vous pris à Nancy le 06 avril à l’occasion du concert de Method Man dont Taipan assurait la première partie. Mais plus qu’un quart d’heure d’entrevue en loge, ce sont surtout les morceaux joués sur scène qui ont apporté les meilleures réponses.





Histoire de t’introduire, plutôt qu’une présentation banale, j’aimerais que tu me définisses ta musique en quelques mots, et ce que tu penses apporter au rap.

Ce que j’essaie d’apporter au rap ? Du fantasque ! Parce que les rappeurs sont devenus lourdingues, ils vont tous dans la même direction. A part deux ou trois exceptions, il n’y a plus de surprise. Donc j’essaie d’amener un peu de légèreté, un peu de délire, parce que putain il faut se les taper les rappeurs !

Ca fait plusieurs années que ton album est annoncé, il a été mainte fois repoussé et presque entièrement retravaillé. Globalement, t’as retiré du plaisir à le faire ou alors ça a été quelque chose de long, d’éprouvant et aujourd’hui t’es content de pouvoir passer à autre chose ?

Les deux en fait. Il y a un coté super frustrant parce que la mécanique prend du temps. Il y a avait une première version de l’album qui était finie il y a déjà deux ans. Et le bon côté de la médaille, c’est que ça nous a permis de tout rebosser depuis le début et d’avoir un truc super frais qui sorte maintenant. C.H.I. a mis ses derniers talents sur la galette et donc il y a des prods qui datent de quatre ou cinq mois. Après c’est vrai que c’est frustrant de prendre cinq ans pour faire un album.

Les textes ont-ils été aussi retouchés ?

Non les textes n’ont pas bougé, ils datent tous de la première version. A part un morceau qui a été écrit par la suite, qui s’appelle « Viens-là mon frère » et « Je commence demain ».
Tu ne t’es jamais dit : « ça c’était peut être un peu naïf à l’époque » ?

Non justement ! C’est ce qui m’a fait plutôt plaisir. Il y a peut-être deux ou trois détails où je serais un peu plus nuancé aujourd’hui, mais c’est vraiment léger. Quelque part je me dis que je me suis pris les couilles à écrire des textes sérieux, et donc que ça leur donne une durée de vie un peu plus longue que des textes balancés à la chatte.

Ton album se veut assez éclectique au niveau des thèmes abordés. Y a-t-il des sujets sur lesquels tu ne veux pas poser, parce que tu ne t’en sens pas capable ou parce que trop casse-gueule ?
Comment tu veux attirer l’attention si tout ce que tu fais est fait gratuitement et s’il n’y a pas un minimum de prise de risque ? Si c’est trop facile et que tout le monde peut le faire, où est l’intérêt ? Après, est-ce que je me fixe des limites par rapport à ça ? Je ne sais pas, parce que finalement c’est facile de partir dans tout un tas d’extrêmes. Des histoires de barges t’en sers autant que tu veux, mais après où est l’intérêt de faire ça ? A chaque fois que je fais des trucs entre guillemets « contestables », j’estime qu’il y a quand même un intérêt dessous, quelque chose qui puisse amener un débat. Même si c’est peut être un petit peu prétentieux de dire que mes trucs peuvent amener des débats. Mais en tout cas je pense que si tu n’y mets pas du tiens, si tu ne prends pas de risques alors il n’y a pas d’amusement, que ce soit pour celui qui le fait comme pour celui qui l’écoute.

Entre des morceaux comme les AFPAN et ceux de ton album, est-ce qu’il y a une différence notable dans ton travail d’écriture ? Est-ce que t’adoptes une autre méthode ou te mets dans des conditions particulières ?

Oui c’est totalement différent. Les AFPAN ont une date de péremption assez courte parce que c’est de l’actualité. Quand je réécoute les premiers, je me dis que ca me fera un petit almanach dans quelques années, pour me rappeler qu’il s’est passé ci ou ça. Les morceaux de l’album par contre sont conçus comme du pinard. J’espère qu’ils se seront bonifiés quand tu le ressortiras dans dix piges. La différence c’est qu’il ya des thèmes plus généraux sur l’album. Dans « viens-là mon frère » un gars retrouve un pote à lui qu’il n’a pas vu depuis longtemps et au fur et à mesure qu’il parle avec, il comprend pourquoi leurs chemins se sont séparés. Le morceau « Mademoiselle » traite des meufs qui se la racontent un peu trop et celui qui s’appelle « La vérité vraie » évoque toutes les vérités pas vraiment faciles à dire.

Mais au niveau de ton travail, la conception doit être différente non ? Tu te mets dans des conditions particulières, tu travailles tes textes autrement ?
J’écris beaucoup plus lentement. Les AFPAN c’est toujours du premier jet. Même sur la punchliner mixtape tous les textes que j’ai repris c’était du premier jet à la base. Alors que pour l’album, j’écris une rime par-ci, une rime par-là et je mets ça dans un coin. C’est déjà presque un best of, dans le sens où l’écriture est épurée au maximum. J’essaie de ne garder vraiment que le meilleur. Et je reprends ta question de tout à l’heure, quand je réécoute les textes avec quelques années de recul, je me dis que je me suis carrément cassé les couilles pour que ça tienne dans le temps, j’ai essayé de mettre un peu de conservateur.
Quelques citations maintenant : « Quand je me réveille, je commence à rêver » ; « je rêve qu’il me reste un rêve et j’me mets à chanter » ; « mon rêve une maladie, mon rêve une thérapie » ; « je finirai par retomber dans ce monde ». La thématique du rêve revient souvent dans tes morceaux…
C’est vrai oui. Mais quand tu as la prétention de vivre de la musique, tu es déjà en-dehors de la réalité. C’est un luxe absolu de pouvoir vivre de ça. Quand les gens se lèvent le matin, ils vont à l’usine, point barre. Ca c’est une folie, c’est de l’égoïsme par excellence que de dire « moi je fais de la musique monsieur ! ».
A propos de ce thème, « tu rêves » est l’un de mes morceaux préférés, tu y apparais plus introspectif, moins détaché qu’à ton habitude. Tu peux me dire pourquoi tu ne voulais absolument pas sortir ce morceau ?

Parce que je n’aime pas les morceaux de rap qui parlent de rap, surtout pour un album. C’est comme ceux qui font des films sur les acteurs ou sur le cinéma. Je trouve que c’est une espèce de mise en abyme débile. Après je n’ai rien spécialement contre ce morceau… Moi quand je discute avec des gens, je préfère leur parler de choses comme celles que je développe dans l’album. Parce que parler de sa petite vie de mec qui fait du rap et qui chiale parce qu’il n’arrive pas à en vivre, ça n’a pas vraiment d’intérêt honnêtement.


Revenons à l’album, pourquoi ce titre, je vous aime ?
C’est parce qu’il faut d’abord savoir aimer pour savoir haïr. Donc « je vous aime » c’est de la haine de qualité, parce qu’il faut s’intéresser aux gens pour haïr à ce point. Et j’ai craché tout ce que j’avais à cracher. Quand tu « dénonces », entre guillemets parce que j’espère ne pas trop faire dans la dénonciation non plus, tu dois un minimum t’intéresser, tu ne peux pas en avoir rien à foutre. Donc voilà, avoir la rage c’est aussi une forme d’amour.

Donc justement par rapport à cette déclaration d’amour, t’escomptes quoi comme retours ?
Le million ! Demain je suis le maire de la ville avec cet album. Non, en vrai j’aimerais poser au moins une pierre. Que les gens se disent que ça a été fait sérieusement. Et je t’avoue avec une certaine petite prétention, je dirais que ça va être un classique du rap et…ça devrait aller.

Après l’album tu prévois quoi ? Le défendre sur scène, enchaîner sur un deuxième ?

Oui déjà le défendre sur scène un maximum possible. Si les gens ne sont pas trop frileux pour m’inviter, je serai là partout où on me demandera et où il y aura un catering correct. Et je commence aussi à me faire des petits stocks de textes, dans le même schéma d’écriture qu’un album, mais c’est encore balbutiant. Donc je suis déjà dans une optique de faire un album, ça va reprendre du temps et tout mais le but c’est d’en reclaquer un, et forcément mieux. Mais il faut d’abord défendre celui-là sur scène. Et le live c’est que du plaisir, quand tu as des conditions comme aujourd’hui. Pour l’instant on a eu des accueils terribles partout où nous sommes allés, que ce soit à Saint-Etienne ou à Lille. Quelque part ça redonne un peu confiance parce qu’on dit toujours qu’il n’y a pas moyen de faire des concerts de rap. Soit c’est le public qui part en couille soit ce sont les conditions. Là ça fait trois ou quatre dates qu’on enchaîne et ça redonne un peu d’espoir sur ce qu’est un live hip hop.
Donc pour conclure, t’as égratigné pas mal de personnes dans tes couplets, tu pourrais tailler un costard à… disons Taipan ?
Mes défauts ? Je les ai tous, on commence par lequel ? Je suis égoïste, je suis prétentieux, bordel… Non pas bordelique, les gens disent « moi mon défaut c’est d’être bordelique » mais ce n’est pas un défaut ça. Moi je suis égoïste, prétentieux, tout ce que tu veux. Comme tout le monde sauf que moi je l’admets. Attention je ne le vis pas bien. Tailler mon costard, sans problème mais tu as heure devant toi ?
Mais, simplement en une phrase ?

Alors là, il aurait fallu poser cette question à Céhashi !
(Mous - le manager de Taipan & Céhashi - décide de l’appeler)

Mous : On est en interview là, tu pourrais décrire Ponds en une ligne ?

Céhashi : Ferme ta gueule quand tu rappes pas !














Remerciements à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à cette interview.

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